Le forgeron du village d'Enampore était célèbre non seulement pour les magnifiques kadyendo (bêches diola) qu’il forgeait mais aussi pour ses champs de niébés. Depuis longtemps, le lièvre cherchait le moyen de manger en toute quiétude ces haricots dont il avait déjà pu, au hasard de ses pérégrinations, apprécier la succulence.
Un matin, Diediu le forgeron envoya ses trois fils garder le lougan de haricots pour le protéger des singes. A peine étaient-ils sur les lieux que se présenta le lièvre tout essoufflé :
« Je viens du village, dit-il, où j'ai rencontré votre père. Il veut que vous m’attachiez avec la corde que voici dans le champ de niébés. »
Les ordres du père Diediu exigeaient toujours l'obéissance immédiate ; aussi nos trois étourdis attachèrent-ils sans réfléchir le lièvre qui s’empressa de brouter dans le champ. Quand il fut rassasié, l'animal ajouta :
« Votre père ordonne que vous m'apportiez de l'eau à boire. »
Ce que firent les enfants, et le lièvre but une calebasse pleine d’eau douce.
« Maintenant, votre père exige que vous me détachiez afin que je puisse me reposer ».
Les enfants obéirent et le lièvre aux longues oreilles fit une bonne sieste au pied d'un fromager qui se trouvait non loin de là.
En fin d'après-midi, la scène se renouvela : le lièvre se fit attacher, brouta le champ, se désaltéra sans scrupule. Toutefois, dans l’intervalle, le fils aîné était retourné au village et avait mis son père au courant de ce qui se passait. Alors Diediu dit à son fils :
« Cours vite dans le champ, ne détache pas le lièvre ; je prépare un fer rouge. Attendez-moi, toi et tes frères ».
En courant, le fils aîné rejoignit ses frères et leur fit part des décisions du père. Si le lièvre a les oreilles longues, il a aussi l'ouïe fine et il comprit tout ce que les garçons racontaient à voix basse. Il lui fallait bien vite trouver un stratagème pour se tirer du mauvais pas où sa gourmandise l’avait conduit. Soudain l'hyène apparut :
« Que fais-tu là ? » dit-elle au lièvre.
« ce qui m'arrive est terrible, répondit le lièvre. Diediu et ses fils veulent absolument que je mange tous les haricots ; ils ne me détacheront qu’à ce prix. Or, regarde comme mon ventre est gros ! Si seulement tu pouvais prendre ma place. »
Saisissant l'occasion, l'hyène détacha le lièvre, le lièvre attacha l'hyène puis s'enfuit en criant :
« Bon appétit !»
L'hyène venait à peine de goûter le premier pied de haricots
que Diediu fit son apparition :
« M'apporte-t-on maintenant de la viande ? » dit-elle.
Hélas non ! Au même moment le forgeron empala l'animal vorace et stupide qui mourut sur l'heure dans de terribles
souffrances en criant comme une truie !'.
Louis Vincent Thomas