Un lièvre affamé, se promenait le long du marigot. Soudain il vit un crocodile et, près de lui une douzaine d'oeufs. Sa faim lui parut encore intolérable. Sortant son chapelet, il pria Allah pour que le roi du bolon ne se réveille pas ; prestement, il ramassa tous les oeufs, goba le plus gros afin de réparer ses forces et s'enfuit sans demander son reste.
Le crocodile, au réveil, eut la mauvaise surprise que l'on devine. Examinant les traces laissées sur le sable humide, il n'eut pas de peine à reconnaître l'auteur du vol. Ainsi, un vulgaire habitant de la brousse osait s'attaquer au roi des marigots ! Ce crime de lèse-majesté ne pouvait être puni que par la mort du coupable !
Après avoir consulté le pélican, son conseiller habituel, le crocodile envoya des émissaires dans toute la brousse pour annoncer qu'il était mort et que les funérailles auraient lieu le soir même. Se recouvrant du traditionnel pagne bleu nuit, il resta immobile sur la berge, ce qui pour lui est chose facile.
Quelques heures après, les animaux se pressaient nombreux, autour du cadavre. En grande pompe, le lièvre enfin apparut. À distance respectueuse - le lièvre est courageux mais pas imprudent -, il s'écria : « Dans le pays de l'oncle du père de mon grand-père on sait qu'un mort n'est vraiment mort que lorsqu'il a pété ». Au même moment, on entendit un extraordinaire pou..ou..ou...outte. « Ça va, j'ai compris », conclut le lièvre en prenant prudemment la fuite. Tous les animaux éclatèrent de rire et le crocodile, vexé, s'enfonça dans la vase. C’est depuis ce jour qu’il vit en solitaire, trahi et déshonoré à jamais par son cul.
Louis Vincent Thomas